Eugène Martin poète-paysan
15-12-1907 ~ 28-07-1983

Les Félibres de Montségur Journal de Montélimar de 1926.

Chronique du Tricastin 1926. Article de Rodolphe Bringer pour Eugène Martin.

" Ma maire es la Prouvènço Lou Doufinat moun paire, e dintre sa jouvenço Fuguère soun enfant, car siéu lou Tricastin. De ma maire ai garda lou regard qu'esbrihaudo, La clarour de soun frount, lis alenado caudo, Lou zounzoun de si cant e la grando bèuta Que fai de la Prouvènço uno superbo fado. De flour e d'ôulivié sa tèsto envirounado Me n'a pourgi bèn tant que n'en pode pourta. Mai d'elo ai conserva la lengo, li coustumo : Légèndo e tradicioun fan la plus bello plumoA moun capèu reiau,ufanous souveni.De moun paire ai garda la tournuro elegantoLa voues noblo, un pau frejo, e sèmpre pertoucanto,E d'un geste autourous, me mostro l'aveni."Traduction "Ma mère est la ProvenceLe Dauphiné mon père, et dans sa jeunesseJe fus son enfant, car je suis le Tricastin.De ma mère j'ai gardé le regard éblouissantLa clarté de son front, l'haleine chaude,Le gazouillis de ses chants et la grande beautéQui fait de la Provence une superbe fée.De fleurs et d'olivier sa tête entouréeM'en a offert autant que je n'en puis porter.Mais d'elle j'ai conservé la langue, les costumes :Légendes et traditions font la plus belle plumeA mon chapeau royal magnifique souvenir.De mon père j'ai gardé la tournure éléganteLa voix noble, un peu froide, et toujours touchante,Et d'un geste hautain, il me montre l'avenir."






Eugène Martin, de Montségur-sur-Lauzon, est bien le garçon le plus curieux qui se puisse rencontrer. Haut comme un plan de lavande, dont il porte toujours une fleur à la boutonnière, et pour cause, on dirait un jeune potache à peine échappé de son bahut , et ce que l'on constate tout d'abord, en l'abordant, c'est son extrême timidité, car on ne peut lui adresser la parole sans qu'il ne devienne aussitôt plus rouge qu'un de ces coquelicots qui sont la joie de ses champs de blé.Et bien, ce bout d'homme , dont l'âme est si grande que l'on se demande comme elle peut tenir à l'aise dans un si petit corps, est un extraordinaire animateur qui vous a bellement secoué son village natal et, une poigne ferme, vous l'a lancé vers l'art de la poésie..!Remarquer qu'il est tout jeunet, à peine 20 ans, mais il a la Foi, il a l'Estrambord..!Poète, il a commencé par chanter, tout seul, sans maître, le plus naturellement du monde, comme les cigales, parce que des tas de choses bouillonnaient en lui, parce que le ciel était bleu, le soleil tout en or, parce que les amandiers étaient en fleurs, parce que dans les petits bois du Tricastin, la bise qui souffle dans les pins et les yeuses, lui redisait des histoires du temps passé, parce que les moissons doraient la plaine, parce que les peupliers et les cyprès, droit comme des cierges, lui apparaissaient religieux dans le violet du soir, parce que l'automne empourprait les "serres", parce que tout cela l'émouvait profondément et lui amplissait tellement le cœur qu'il fallait bien que cela débordât, un jour ou l'autre...Ah ! poète, il l'est, comme peu l'ont été, et si naturellement que l'on dirait qu'il n'y a aucun mérite, et qu'il ne faut pas plus l'en féliciter que l'on ne complimente le cerisier de nous donner ses fruits..!Mais, Eugène Martin n'est pas seulement poète ! Car généreux, ce qu'il ressentait, il a eu vergogne d'être seul à en jouir.. Et, réunissant les jeunes gens et les jeunes filles de son village, il a voulu, avec eux tous, communier dans l'amour du beau.. Et il a fondé cette "Escolo di Lavando" qui est une jeune pousse toute fleurie du grand et bel arbre du Félibrige.Tout de suite, émerveillés de ce bel effort, des hommes comme Bèchet, Paul Ruat, Enfos-Martin, ont applaudi des deux mains.. Tant mieux.. ! Mais même ça ces bravos, l'œuvre, la belle et généreuse œuvre se fut développée, car il y avait à son début la jeunesse et l'enthousiasme qui ont raison de tout.. ! Et, véritablement, n'est-ce pas miracle que dans ce petit Montségur, grand comme mouchoir de poche, qui n'avait plus fait parler de lui depuis le baron des Adrets, qui se reposait obscur et oubliée à l'ombre de ses ruines sacrées, tout à coup ait fleuri ce beau Rameau Félibréen d'art et de poésie..? C'est ce petit bougre d'Eugène Martin qui en a été le jardinier, et il était bien juste que je lui tresse cette petite couronne, puisqu'il est l'enfant prodige de notre Tricastin..! RODOLPHE BRINGER 1928.

